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Nous avons besoin de données sur l’autisme, et voici pourquoi nous devons les utiliser de manière responsable

Nous avons soumis l’article d’opinion suivant à des médias nationaux la semaine dernière, mais en raison d’une couverture électorale concurrente, cet essai n’a pas pu être publié. L’équipe de l’Alliance a estimé qu’il était important de le partager. Nous l’avons donc placé sur notre propre site et espérons que vous le partagerez avec vos propres réseaux.

La Dre Deepa Singal est directrice scientifique de l’Alliance canadienne de l’autisme, professeure adjointe auxiliaire en pédiatrie à l’Université de l’Alberta et scientifique au Centre d’élaboration de la politique des soins de santé du Manitoba. Chercheuse primée et leader en matière de politiques, elle œuvre à l’avancement de l’équité et des mesures de soutien fondées sur des données probantes pour les personnes autistes au Canada.

Alors que les gros titres aux États-Unis relancent les débats polarisés sur la prévalence croissante de l’autisme, les Canadiens et Canadiennes ont l’occasion — et la responsabilité — d’emprunter une voie plus réfléchie. Nous devons contrer la peur et la controverse par des faits et de la bienveillance.

En tant que chercheuse dans le domaine de l’autisme et experte dans l’utilisation de données administratives anonymisées au niveau de la population pour soutenir les personnes autistes et leurs familles, je peux affirmer sans équivoque que les chiffres sont importants. Cela étant dit, la manière dont nous les utilisons l’est encore plus.

Au Canada, nous ne disposons pas de données nationales cohérentes sur le nombre de personnes autistes qui vivent au pays, sur l’évolution de leurs besoins au fil du temps et sur les principaux obstacles auxquels elles sont confrontées en matière de soins, d’éducation et d’inclusion. Sans ces informations, nous en sommes réduits à des conjectures, et, lorsque nous conjecturons, ce sont les personnes les plus marginalisées qui passent entre les mailles du filet.

Voici ce que nous savons : l’autisme est une condition neurodéveloppementale complexe et diverse. Il affecte la façon dont les personnes communiquent, apprennent et font l’expérience du monde. Il n’y a pas deux personnes autistes identiques et les besoins en matière de soutien peuvent varier considérablement, depuis les personnes qui ne parlent pas et qui ont besoin de soins tout au long de la vie jusqu’à celles qui arrivent à vivre de manière autonome avec les aides appropriées. Une proportion importante de personnes autistes vivent aussi avec des conditions concomitantes, comme le TDAH, l’anxiété ou une déficience intellectuelle. 

Ce n’est pas nouveau. Ce qui change, c’est notre capacité à identifier et à soutenir les personnes qui ont été négligées dans le passé : les filles, les personnes de genre divers et les communautés racialisées. Parallèlement, la définition clinique de l’autisme s’est considérablement élargie au cours de la dernière décennie, reflétant mieux tout le spectre des expériences de la neurodiversité. C’est pourquoi nous constatons une augmentation du nombre de cas.

Au Canada, un rapport de 2019 de l’Agence de la santé publique du Canada estimait qu’un enfant sur 50 recevait un diagnostic d’autisme. Ce chiffre est probablement sous-estimé, car les données ne couvraient pas toutes les provinces et tous les territoires et présentaient des limites méthodologiques. Notre prévalence réelle est probablement plus proche des estimations récentes des Centers for Disease Control and Prevention (Centres pour la prévention et le contrôle des maladies, ou CDC) des États-Unis, qui font désormais état d’une prévalence de l’autisme chez 1 enfant sur 31. Certaines provinces canadiennes font déjà état de chiffres plus élevés, notamment le ministère du Développement de l’enfance et de la famille de la Colombie-Britannique, qui rapporte qu’un enfant sur 25 bénéficie de services de soutien à l’autisme.

Ces chiffres en hausse ne reflètent pas une crise, mais plutôt les progrès réels accomplis en matière de dépistage, de sensibilisation et d’inclusion.

La Stratégie pour l’autisme au Canada, lancée en 2024, est une occasion cruciale de tirer parti de ces progrès. L’un des cinq domaines prioritaires de la Stratégie met l’accent sur la collecte de données, la surveillance de la santé publique et la recherche. Il ne s’agit pas d’un simple détail technique, mais bien du fondement sur lequel repose toute bonne politique. Des données exactes et représentatives peuvent guider l’affectation des ressources, éclairer la conception des programmes et révéler des inégalités qui, autrement, pourraient passer inaperçues.

Il est essentiel de disposer de données fiables, car elles constituent l’un de nos outils les plus puissants pour lutter contre la désinformation. À une époque où des mythes nuisibles sur l’autisme persistent, souvent fondés sur des données scientifiques depuis longtemps réfutées, des données crédibles permettent au public de se fonder sur la vérité et non sur la rhétorique.
Les données sur l’autisme doivent être collectées de manière éthique et utilisées de manière responsable, sans raviver de faux débats ni alimenter les discours de peur et de culpabilisation. L’utilisation abusive des données sape la confiance du public et détourne l’attention du véritable travail de mise en place de systèmes inclusifs.

En outre, les données ne doivent pas servir à dénombrer dans un but de contrôle, mais à s’assurer que personne n’est invisible et à aider à identifier les besoins non satisfaits afin que les gouvernements, les communautés et les prestataires de services puissent y répondre avec précision et efficacité.

Les données nous permettent également de reconnaître la diversité au sein de la communauté de l’autisme, que l’on parle d’appartenance ethnique, de genre, de revenu, d’âge, de langue, de situation géographique ou de besoins en matière de soutien. Un taux de prévalence sans cette nuance n’est qu’un chiffre. Il n’aidera pas un parent à s’y retrouver dans les listes d’attente, ni un jeune adulte à trouver un emploi valorisant, ni une famille autochtone à accéder à des soins adaptés à sa culture.

Le Canada est bien placé pour jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Nos systèmes de santé universels, notre solide infrastructure de données administratives et nos réseaux de recherche performants nous donnent les outils nécessaires pour élaborer une approche rigoureuse et fondée sur les droits en matière de données sur l’autisme.

Cependant, le leadership implique une volonté délibérée. Il implique de concevoir des stratégies en matière de données en collaboration avec les personnes autistes, leurs familles et leurs communautés, et non pas simplement pour elles. Il implique de protéger la vie privée, de promouvoir la transparence et de s’engager à prendre des mesures fondées sur les données.

Au mieux, les données peuvent nous aider à mettre en place des systèmes qui prennent en compte la globalité des personnes, à mieux planifier et à réagir de manière plus humaine. Au pire, elles peuvent réduire des vies complexes à de simples statistiques, utilisées pour justifier l’inaction ou, plus dangereusement, pour donner du crédit à des théories du complot et à des théories scientifiques depuis longtemps réfutées.

Les taux de prévalence ne sont pas le témoignage d’une crise, mais un appel à l’action. Si nous voulons un Canada où les personnes autistes peuvent mener une vie épanouie, connectée et significative, nous devons commencer par savoir qui elles sont, puis agir en conséquence en mettant en place des politiques exhaustives, des soins de santé et une éducation qui tiennent compte des particularités neurologiques, ainsi que des pratiques inclusives, sans céder à la peur. C’est pourquoi la manière dont nous utilisons les données sur l’autisme est tout aussi importante que leur collecte.

Elles doivent servir le progrès, pas la panique; la compassion, pas la controverse; la vérité, pas les tactiques.